Normandie

Le réemploi et l’assureur

La parution de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) associée à la Responsabilité élargie des producteurs (REP) destinée à réduire les déchets incite à concevoir de nouvelles façons de construire en utilisant au mieux les ressources transformées déjà existantes.

Article rédigé par Loïc Drillet, SOCABAT pour la SMABTP.

Publié le
, mis à jour le
6 janvier 2025
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Nous n’aborderons dans le présent article que le réemploi, c’est-à-dire l’activité destinée à mettre en œuvre un produit issu de travaux de démontage sans modification significative et pour un même usage que celui pour lequel il était initialement conçu et posé.
La question de l’assurabilité des produits ou systèmes issus du réemploi s’est rapidement posée ainsi que celles relatives aux responsabilités associées aux nouveaux métiers issus de cette démarche.
Afin d’y répondre au mieux et de participer activement au développement et à la sécurisation de la filière du réemploi, la SMABTP s’est associée à plusieurs groupes de travail auprès de France Assureurs, des fédérations du BTP, des organismes publics CSTB, ADEME.

 

Notion de Technique Courante

Mais avant d’aborder la thématique du réemploi, il est important de bien comprendre la notion de technique courante associée aux contrats d’assurances des entreprises.
Ces contrats et attestations qui en découlent limitent effectivement l’étendue des garanties aux travaux dits de techniques courantes. 
France Assureurs propose à ce sujet cette définition : 
Sont considérés comme étant de technique courante les ouvrages répondant aux caractéristiques suivantes :
Travaux de construction répondant à une norme homologuée (NF DTU ou NF EN), à des règles professionnelles acceptées par la C2P ou à des recommandations professionnelles acceptées par la C2P.
Procédés ou produits faisant l’objet, au jour de la passation du marché, d’une Évaluation Technique Européenne (ETE) bénéficiant d’un Document Technique d’Application (DTA), ou d’un Avis Technique (ATec), valides et non mis en observation par la C2P .
Procédés ou produits faisant l’objet, au plus tard le jour de la réception (au sens de l’article 1792-6 du code civil), d’une Appréciation Technique d’Expérimentation (Atex) avec avis favorable (du contrôleur technique).
La C2P (Commission Prévention Produits) qui y est référencée est intégrée à l’AQC (Agence Qualité Construction). Cette instance réunit tous les professionnels de la construction et de l’assurance.
La C2P détaille dans ses publications semestrielles les activités de technique courantes.
Ces publications servent de référentiels sur le sujet et sont consultables par tous sur le site de l’AQC.
La C2P associe par ailleurs à ces publications semestrielles un moteur de recherche d’aide à la détection des procédés de construction sous Avis Technique (ATec) ou Documents Techniques d’Application (DTA) ne faisant pas l’objet de mise en observation de sa part et considérés de ce fait en technique courante.
Cet outil est disponible à l’adresse internet : https://liste-verte-c2p.qualiteconstruction.com/
Les procédés non référencés ou mis en observation par la C2P constituent de la Technique Non Courante (TNC).
Les entreprises qui souhaitent mettre en œuvre des procédés de TNC doivent systématiquement consulter leur assureur au préalable afin d’obtenir un avenant spécifique.

La position du réemploi 

Actuellement, la majorité des référentiels techniques reconnus par l’ensemble de la profession (normes, DTU, règles et recommandations professionnelles, ATec/DTA/ATEx), ne visent pas le réemploi :
-    Les techniques de dépose/stockage/repose ne sont pas traitées.
-    La majorité des DTU fait référence à des matériaux conformes aux normes produits en vigueur lors de leur première mise en œuvre.

Le réemploi est donc encore considéré majoritairement comme relevant de la TNC.
Majoritairement puisqu’une récente évolution doit être signalée : depuis juillet 2024 les récentes recommandations professionnelles du CTICM (Centre Technique Industriel de la Construction Métallique) : « réemploi d’éléments structuraux en acier » apparaissent effectivement acceptées par la C2P et relèvent donc désormais de la technique courante. 
Ces recommandations ont été établies en collaboration avec la FFB et la CAPEB.
D’autres travaux en cours pourront aboutir à la même situation : citons par exemple ceux initiés par la CSFE (Chambre Syndicale Française de l'étanchéité), avec la préparation de règles professionnelles pour le réemploi des éléments métalliques de bardage.

Aussi, à l’avenir, d’autres recommandations professionnelles, voire règles professionnelles, sur le sujet du réemploi devraient être étudiées par la C2P, permettant d’étendre le champ de la technique courante à d’autres produits et procédés.
À plus long terme il est bien sûr souhaitable que les techniques de réemploi soient intégrées aux DTU.

Mais en attendant, nous avons bien conscience de l’intérêt de développer le réemploi, sans attendre cette évolution finale, pour protéger nos ressources et limiter notre production de carbone.

Sur la qualification des produits 

Si le diagnostic PEMD, le rôle et la qualité du diagnostiqueur sont désormais bien cadrés (cf notamment Décret n° 2021-872 du 30 juin 2021, articles L126-34 et D126-12 du CCH), la qualification des produits issus du réemploi reste le point sensible directement lié à l’assurabilité de la mise en œuvre de ces produits et procédés.
Les assureurs sont tenus d’apporter des garanties de longues durées nécessitant des produits, équipements et matériaux dont la durabilité des performances est justifiée.
Il est donc essentiel de bien évaluer ces performances et durabilités résiduelles au regard des normes actuelles qui peuvent être différentes des normes initiales.
Pour certains produits des risques de contamination doivent aussi être évalués : il peut s’agir notamment des polluants reconnus tels qu’amiante, plomb et autres éléments toxiques (formaldéhydes...), de dégradations par attaques larvaires d’insectes ou par l’action de champignons lignivores (mérules, et autres) par exemple.
La traçabilité précise des matériaux issus du réemploi constitue donc un des points essentiels dans leur qualification.
À cette traçabilité, des essais de caractérisation des performances résiduelles pourront s’ajouter.
À titre d’exemple ces points d’attention figurent dans les seules recommandations professionnelles précitées (CTICM) et acceptées par la C2P à ce jour.
Quatre protocoles de requalification y sont détaillés suivant la connaissance (traçabilité) du produit et sa destination.

La qualification des produits constitue donc un acte essentiel pour l’évaluation de son assurabilité.

Cette qualification pourra être faite par tout acteur comportant du personnel qualifié ou expérimenté en ce sens : 
-    Par la plateforme de distribution selon sa spécialité,
-    Par un acteur indépendant tel que BET, maître d'œuvre, 
-    Par une des entreprises participantes aux travaux de dépose/stockage ou de repose,
-    Par le diagnostiqueur PEMD s’il dispose des compétences complémentaires adaptées.

 

De nouveaux métiers

Comme nous l’avons déjà précisé, la filière du réemploi entraine avec elle l’émergence de nouveaux métiers qu’il convient également d’assurer.
Il s’agit bien sûr du diagnostiqueur que nous avons déjà évoqué mais également les autres professionnels tels que qualificateurs, AMO Réemploi, maîtres d'œuvres dédiés, bureaux de contrôle avec missions spécifiques, reconditionneurs, plateformes de stockage et de revente.
Leurs conditions d’assurance devront être adaptées à leur implication dans le processus de réemploi.
La présence de tels interlocuteurs formés et expérimentés constitue d’ailleurs un point sécurisant dans l’évaluation assurantielle des dossiers présentés.
La formation aux techniques de réemploi est un des points essentiels aux bonnes pratiques à venir et doit être organisée par les filières professionnelles.
Conscient de cet enjeu, nous pourrions déjà citer l’accompagnement du CTICM par la mise en place d’une « Certification Éléments de réemploi ».
Il est également désormais possible d’accéder à la formation certifiante de technicien valoriste.
Enfin, nous pouvons aussi mentionner la démarche QUALIBAT avec la mise en place de sa qualification « Déconstruction Sélective » pour accompagner les entreprises chargées des travaux de dépose. Il s’agit de la qualification 1162.

 

Pour conclure

Le réemploi participe à la bonne gestion indispensable de nos ressources et de nos consommations. 
Cette démarche est également encouragée par la RE2020 qui lui attribue une nullité carbone.
Si le réemploi est aujourd’hui encouragé, il deviendra incontournable dans les années à venir.
Aussi, nous devons l’accompagner au mieux afin que cette filière s’organise et se pérennise.
La SMABTP s’est engagée dans cette démarche pour aider ses sociétaires dans cette évolution nécessaire mais également pour aider au développement des outils en participant aux groupes de travail des organismes publics et professionnels.
Concepteurs comme entreprises disposent maintenant de plusieurs outils destinés à leur faciliter la démarche.
Plusieurs fiches et guides de réemploi sont ainsi en cours de diffusion, documents issus de plusieurs groupes de travail tels que SPIROU (Sécuriser les pratiques innovantes de réemploi via une offre unifiée), FBE (Fondation Bâtiment Energie) ou le projet européen FCRBE (Faciliter la circulation des éléments de construction récupérés en Europe du Nord-Ouest).
La traçabilité et la qualification des produits concernés, la présence d’équipes formées et expérimentées, constituent des points forts au bon développement de cette activité et à leur assurabilité.
Le réemploi reste aujourd’hui majoritairement en Technique Non Courante même si une évolution commence à se faire vers la technique courante.
Il est donc nécessaire que les maîtres d'ouvrage et entreprises consultent encore aujourd’hui systématiquement leurs assureurs respectifs pour les Marchés comportant du réemploi.
Les concepteurs devront les y inciter afin d’obtenir des attestations d’assurance spécifiques dédiées au réemploi pour les projets concernés.

 

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