Provence-Alpes-Côte d'Azur
Edito

Silencieusement, nos murs vieillards sont bavards

À l'occasion des rencontres Architecture et territoires, Jeremy Lasne, conseiller à l'Ordre, a prononcé un discours sur ce que lui évoque la notion de patrimoine. 

Publié le
, mis à jour le
21 octobre 2024
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Jérémy Lasne

Jérémy Lasne

© Francis Habert

Le patrimoine, quel curieux concept, qui oppose souvent des idées :
passé / présent
conserver / altérer
hériter / inventer
figer / adapter
prescription / appropriation 
irréversible / réversible
privé / public
extraordinaire / vulgaire
culturel / naturel
matériel / immatériel
habité / visité
étouffer / témoigner


Le patrimoine est, en premier lieu, un émerveillement, 
devant l'art développé par nos aînés

au savoirs-faire vastes et variés
qui est le fruit d'ailleurs d'une attention considérable

aussi et sûrement d'une passion monumentale 

qui a poussé ces artisans à écouter la matière elle-même.

Ce qu'elle raconte, silencieusement.
Ce que, en nous, elle met en mouvement.
Émouvant.

Cette écoute attentive du matériau, 
cette compréhension de l’œuvre se construisant, 
laisse éclore et s'épanouir le beau.
Bouleversant.

N'oublions pas que le bâti ancien, en plus de sa beauté,
a déjà de belles qualités bioclimatiques, structurelles et spatiales
sur lesquelles nous pouvons compter pour faire projet, 
et même tricoter une nouvelle histoire à portée environnemental. 


Ensuite, le patrimoine est une sensation de voyage,

une odyssée brumeuse dans le passé de nos vies 
à travers des fragments d'indices, de traces et de récits. 

Racontés par de vieilles pierres muettes
nous essayons alors de deviner, de retracer, 
d'imaginer, non sans vertige, ces vies.

Toutes ces vies qui ont foulé cette pierre polie.
Toutes ces vies qui, avec les nôtres, résonnent
et malicieusement les questionnent. 

Le souvenir de ces passages rend perceptible 
notre participation à cette grande histoire invisible. 
Il questionne alors notre présence au monde,
notre responsabilité dans tout cet immonde. 

Effectivement, 
encore faut-il que nos centres anciens soient toujours habitables. 
uniquement 

Heureusement, 
l'atmosphère étrange et mystérieuse de lieux séculaires, 
facilement, 
anime, stimule, ici, tous nos imaginaires. 

Ce qui doit faire patrimoine aujourd'hui,

ce que nous devons conserver et transmettre en priorité,
à mon humble avis, c'est la vie.

Tout patrimoine qu'il est,
un bâtiment reste un abri, 
un support (intérieur et extérieur) 
au déploiement de cette vie. 

Oui mais, comment ? : 
En analysant précisément les préexistences,
en s'entourant de concepteurs consciencieux,
en réfléchissant réunis, tous les acteurs, en synergie, 
(à cette occasion)
en invitant évidement le vivant, les habitants (petits et grands)
et en incluant les artisans et leur passion. 

L'architecture peut accompagner ces mouvements,
par son écoute attentive proposer des solutions, 
dessiner de nouvelles histoires, joyeusement
et demain peut-être, le patrimoine que nous aimerons. 

Parce qu'un jour quelqu'un m'a dit : «l'architecture, c'est faire de belles ruines »

Faire de belles ruines oui, mais, 
continuer à les habiter est indissociable au fait de les aimer. 
À ce sujet mon associé Bijan me dit souvent :
« ce sont les lieux aimés qui traversent le temps. » 

Si nous aimons nous prenons soin des lieux, des vies. 
Alors, 
« aimer », donne à nos villes et à nos bâtiments une dimension infinie.


Jérémy Lasne, architecte associé de l'Atelier Ostraka (Robion 84)
Élu au Conseil régional de l'Ordre des architectes PACA
Architecture et Territoires - 25 septembre 2024
 

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