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Christophe Millet revient sur le rôle de l'architecte dans les territoires

Dans son interview accordée jeudi 17 octobre 2024 au magazine Le Moniteur, Christophe Millet résume la ligne politique du Conseil national de l'Ordre des architectes.   

Publié le
, mis à jour le
25 octobre 2024
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interview 17 octobre Christophe Millet au Moniteur

Interview du 17 octobre 2024 au magazine Le Moniteur - Christophe Millet, président du CNOA

Julien Falsimagne

Interview accordée par Christophe Millet, président du CNOA, au magazine Le Moniteur, jeudi 17 octobre 2024

Texte intégral

Question : Comment accueillez-vous le maintien de Rachida Dati au ministère de la Culture, tutelle des architectes ?

Le Cnoa prend acte de cette reconduction. Avant les dernières législatives, nous avions travaillé avec la ministre sur le second volet de la Stratégie nationale pour l’architecture (SNA). Nous l’interpellerons prochainement pour voir quelle suite sera donnée à ces échanges. Nous veillerons également à ce que l’Observatoire de l’économie de l’architecture se recentre sur son objet et sur les conditions d’exercice de la profession. La ministre a, par ailleurs, montré son intérêt pour la ruralité, en phase avec le cycle de 26 conférences – « Architectures et territoires » – que nous co-organisons et qui s’achèvera à Cayenne (Guyane) ce 25 octobre. L’idée est ici de remettre l’architecte au cœur des questions territoriales d’aménagement, à moyen et long terme. Côté logement, la nomination d’une ministre de plein exercice est un signal fort et ledit ministère a clairement identifié l’Ordre comme un partenaire compétent dans sa réflexion. Il nous reste à rencontrer Valérie Létard et voir comment travailler avec elle et ses collègues sur les grands sujets du moment.

Question : Quels retours de la profession recevez-vous du cycle de conférences «Architectures et territoires» ?

Les élus se disent naturellement heureux de rencontrer les acteurs sur le terrain. Sur les réseaux sociaux, les architectes se montrent enthousiastes au sujet des tables rondes d’experts, des visites d’opérations, etc. Même s’il n’est pas toujours facile de faire se déplacer les professionnels hors des grandes métropoles, à Lacanau, à Bourges ou à Cerbère… Un premier bilan sera dressé lors du prochain Salon des maires et des collectivités locales (SMCL) en novembre. Mon souhait est qu’une restitution sous forme d’un ouvrage soit faite de ces conférences, à destination des maires, notamment. Le rapprochement des architectes avec les territoires est à la fois un enjeu et le gage d'une transition écologique réussie.

Question : Vous avez été élu à la tête du Cnoa le 13 juin. Comment vous situez-vous par rapport à votre prédécesseur ?

Christine Leconte et son équipe nous ont légué un projet de société, une vision de ce que pourrait être le rôle de l’architecture en France. A nous de nous en emparer pour le faire évoluer vers ce que j’appelle « Architecturer l’habitabilité d’un monde qui protège le vivant », autour de la réhabilitation, de l’écologie, des filières de matériaux, de la biodiversité, etc. Le précédent mandat a porté ce projet très haut, auprès des ministères et des décideurs publics. Il s’agit à présent de le décliner en direction des élus locaux, des partenaires, des conseils régionaux (Croa) et – surtout – des architectes, afin qu’ils le traduisent dans leur activité au quotidien. Objectif : réinscrire l’architecture dans l’intérêt public, comme proclamé par la loi de 1977. Prendre la parole dans le débat politique fait partie de notre rôle, et j’y suis attaché.

Question : Quelles sont vos priorités pour les trois ans de votre mandat ?

Il y a, d’abord, une réorganisation interne, avec l’installation de commissions permanentes chargées du budget, du tableau, du juridique (déontologie), de la formation ou encore des affaires publiques. Concernant le tableau, l’outil sera refondu pour assurer une totale interactivité avec les agences, assortie d’une mission de contrôle de l’Ordre. Par ailleurs, je souhaite ardemment que la réhabilitation soit inscrite dans la loi de 1977, car elle ne peut pas se faire sans architecte. C’est un chantier abordé sous plusieurs angles : simplification des autorisations d’urbanisme, accélération de l’instruction, efficacité de l’action publique pour la transition écologique, protection de l’identité des patrimoines ruraux, etc. La réhabilitation n’est pas qu’une question d’isolation thermique et il n’y a pas de petit patrimoine.

Je souhaite ardemment que la réhabilitation soit inscrite dans la loi de 1977 sur l’architecture.

Question : La récente mise en ligne des décisions des chambres de discipline semble faire de la déontologie l’une des priorités du Cnoa…

J’observe un traitement, parfois très inégal, de ce sujet dans les territoires. Ce n’est pas acceptable. J’ai demandé à mes équipes un rapport sur le fonctionnement des chambres régionales de discipline : comment sont nommés et rémunérés les assesseurs ? Qui juge ? Pour quelles décisions ? Qui fait appel ? Quelles sont les questions abordées ? etc. La signature de complaisance reste le sujet majeur, avec les risques potentiels associés comme la non-assurabilité du projet, la démolition ou encore la radiation du tableau. Sans oublier que de tels actes peuvent « assécher » un secteur, freiner l’installation de jeunes professionnels et favoriser les déserts architecturaux…

Question : Le budget de l’Ordre a été contesté par voie de pétition, de même que le nouveau barème de cotisations. Où en est-on aujourd’hui ?

La pétition en question a été lancée par l’Union nationale des syndicats français d’architectes (Unsfa). Le Syndicat de l’architecture (SA) a, de son côté, saisi le Conseil d’Etat d’un recours relatif au barème. Nous leur avons répondu et nous avons produit tous les documents, de manière transparente. Si le budget de l’institution est passé de 15 à 20 millions d’euros entre 2021 et 2023, c’est que nous y avons inclus la totalité de nos recettes (loyers, placements, etc.), ce qui n’était pas le cas auparavant. Le taux de recouvrement des cotisations s’est amélioré et le nombre d’inscrits a progressé. Le barème incriminé, inchangé de 2011 à 2023, bénéficie désormais à tous : 90 euros au minimum, jusqu’à 1 080 euros pour les agences, quel que soit leur chiffre d’affaires, avec des possibilités d’exonération facilitées. Derrière cette cotisation, il y a la faculté, pour les architectes, de pouvoir porter le titre en toute légalité et de défendre l’intérêt public de leur activité. J’ajoute que nous travaillons actuellement avec l’Unsfa et le SA en vue de présenter une convention internationale au prochain congrès de l’Union internationale des architectes (UIA) mi-novembre, à Kuala Lumpur (Malaisie). Nous devrions aboutir prochainement, sous réserve que le SA se désiste de sa demande devant le Conseil d’Etat.

Question : Dans une interview accordée au « Moniteur.fr » juste après votre élection, vous évoquiez la « fragilité de la profession ». Qu’est-ce à dire ?

Nous assistons aujourd’hui à une crise de confiance globale des maîtres d’ouvrage envers les professions réglementées – et singulièrement les architectes – qui passe par une limitation de leur champ d’action : les missions en amont sont dévolues à un programmiste ou un AMO, on ne leur confie pas l’économie, pas davantage l’OPC et parfois même plus le chantier ! Réduire notre rôle au dépôt du permis de construire revient à précariser le métier, décourager l’architecte et in fine le fragiliser. La bonne santé de la profession est aussi garante de la qualité architecturale de notre cadre de vie.

Question : Lors de son congrès 2023, l’Unsfa disait redouter une « casse » dans les agences, en raison de la crise du logement. L’avez-vous observée dans les faits ?

En l’absence d’information sur ce point, j’observe, en revanche, un redéploiement des architectes dans certains territoires, en Franche-Comté par exemple, où leur nombre augmente, tandis qu’il diminue en Île-de-France! Un mouvement qui voit les architectes s'implanter là où on alertait, il y a peu, sur l'apparition de déserts ! Ce qui est plutôt positif. En ce qui concerne le logement, oui… Certains architectes ne vont actuellement pas plus loin que le dépôt du PC, ce qui n’est pas la phase la plus rémunératrice. Je les invite, à cet égard, à renégocier leur contrat et à diversifier leurs pratiques en direction d’autres marchés (programmation, économie du projet, etc.). Par ailleurs, le secteur de la réhabilitation est énorme et à portée de leurs compétences ! On voit aussi fleurir nombre d’offres d’emploi sur les réseaux sociaux pour de nouveaux profils.

Question : Dans l’entretien accordé au « Moniteur.fr » évoqué plus haut, vous mentionniez la nécessité d’une « réconciliation entre l’Ordre et tous les acteurs de l’aménagement du territoire ». Comment faut-il l’entendre?

Le Cnoa a identifié environ 80 acteurs/institutions qui orbitent dans l'écosystème de l'architecture : CAUE, paysagistes, syndicats, architectes d’intérieur, ABF, etc. Nous les avons réunis de manière informelle pour discuter, échanger, faire connaissance. L’idée n’est pas de fusionner tous ces acteurs, mais d’œuvrer ensemble pour s'interroger sur le rôle de chacun, sur les compétences propres des uns et des autres. Il nous faut devenir force de proposition, être des facilitateurs, être capables de proposer de nouvelles approches, de nouvelles solutions : toutes les capacités sont réunies pour cela. Sur la question du logement, par exemple. Il est aujourd’hui à la fois trop cher, émetteur de CO2, souvent trop petit, mal conçu, mono-orienté… Changeons ça et montrons que nous sommes capables de faire différemment et mieux. Le gouvernement sera alors bien inspiré de nous écouter.

Question : Le Cnoa siège au conseil d’administration de chaque école d’architecture et participe à la délivrance de l’habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre (HMONP). Quel regard portez-vous sur ces Ensa, agitées l’an passé par des mouvements de revendication ?

Christine Leconte, le Cnoa - et le ministère - ont soutenu les écoles et les étudiants dans leurs combats, pour inscrire leur cadre pédagogique dans la dignité. On le sait, l’Etat investit beaucoup moins sur un étudiant en architecture que sur un étudiant ingénieur. Leur responsabilité est-elle moindre dans la sphère publique ? Je ne le crois pas. De leur côté, les agences accueillent les jeunes diplômés pour leur mise en situation professionnelle (MSP) en vue d’obtenir leur HMONP. La durée de cette MSP doit être harmonisée entre les écoles, entre les régions, aussi bien qu’au niveau européen. Il y a actuellement un embouteillage dans les écoles, car les étudiants ne trouvent pas de structures d’accueil. L'Ordre, par son indépendance, pourrait coordonner la réflexion sur le sujet avec l’ensemble des acteurs, afin que les étudiants qui le souhaitent puissent envisager une inscription à l’Ordre à l’issue d’un parcours lisible. A cet égard, nous sommes partenaires de la réponse à l’AMI «Compétences et Métiers d’Avenir» qui vise à transformer le système de formation français selon les objectifs du plan d’investissement France 2030.

Question : Une manifestation comme les Journées nationales de l’architecture (JNA) – qui se tiendront du 18 au 20 octobre cette année – est-elle bien utile ?

Evidemment ! Faire parler d’architecture par les architectes, vulgariser le propos sans excès, identifier des professionnels, montrer que le recours à l’architecte n’est pas un privilège de riches, etc. Tout ceci est important et les JNA y contribuent. Nombre d’agences qui travaillent avec les particuliers se mobilisent à cette occasion. Apprendre à lire l’architecture, à valoriser et protéger tous les patrimoines sont autant d’approches indispensables.

Question : La loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture célébrera bientôt ses 50 ans. Que prévoyez-vous à cette occasion ?

Je souhaite, pour cet anniversaire, que le Cnoa joue un rôle prépondérant dans la conception du pavillon « France » à la Biennale d’architecture de Venise 2027. Il s’agirait, dans cette vitrine mondiale, de montrer tout ce que notre système a pu produire d’utile et de beau, en gardant notre esprit critique. Et faire en sorte que ce jubilé soit l’occasion de renforcer la loi de 1977 – plutôt que de la détricoter – en y inscrivant la réhabilitation. Il ne faut surtout pas rater le coche !

Christophe Millet
Président du CNOA
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