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Mort de Roland Castro, architecte humaniste

L’architecte, visionnaire du grand Paris, infatigable acteur de la rénovation des banlieues et pionnier de la transformation des grands ensembles, est décédé le 9 mars 2023, à 82 ans.
Publié le
, mis à jour le
1 mai 2024
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Roland Castro
Roland Castro
(photo : Jacques Paquier / CC BY 2.0)

Roland Castro est né à Limoges, en octobre 1940, sa famille, modeste et d’origine juive espagnole, ayant fui Paris pendant l’exode.

Il entre aux Beaux-Arts tout en travaillant dans l’agence d’Edouard Albert. Il est diplômé en 1968, après avoir participé activement à la très forte contestation de l’enseignement dispensé dans l’institution.

Etudiant communiste militant dans les années 60, il s’investit totalement dans mai 68 et fonde le mouvement maoïste Vive la révolution. Il dirige le journal « Tout !», dont la direction de la publication est confiée à Jean-Paul Sartre.

Il revient à l’architecture dans les années 70 et débute des projets relevant de ce qu’il nomme le « remodelage urbain », qui deviendra en quelque sorte sa marque de fabrique, se positionnant à la fois contre « l’architecture objet » et contre le fonctionnalisme moderniste.

Mais, dans ces années, il construit peu. S’il s’est fait remarquer avec le concours pour l'aménagement de l'ancienne prison de la Petite Roquette à Paris, la Bourse du Travail à Saint-Denis, construite avec Antoine Stinco et inaugurée en 1983, est son premier bâtiment important.

C’est du côté des idées et du militantisme qu’il se fait largement connaitre. Roland Castro fonde en 1981 l'association Banlieues 89 avec, notamment, Michel Cantal-Dupart, en référence à la révolution française dont le bicentenaire approchait. En 1983, il entraine François Mitterrand dans une visite médiatique en hélicoptère de plusieurs villes de banlieues parisiennes, lui montrant à la fois la réussite de la Cité-jardin de la Butte-Rouge de Chatenay-Malabry (menacée de démolition partielle aujourd’hui) et le contre-exemple de la Cité des 4000 à la Courneuve.

Le président de la République confie dans la foulée aux deux architectes une mission interministérielle qui reprend le nom de l’association, et dont l’objectif sera à la fois de réfléchir à un projet pour le Grand Paris et de faire émerger des projets exemplaires pour améliorer la qualité de l’urbanisme des banlieues. 220 projets seront retenus dans ce cadre. Des Assises de la banlieue se tiennent, dont la dernière en 1990 avec le slogan « Pour en finir avec les grands ensembles ». En 1990 est créé le premier ministère de la ville, confié à Michel Delebarre. La mission s’éteint en 1991, ses organisateurs tirant un bilan mitigé : insuffisant sur le plan des projets de transformation concrète des métropoles, mais réussi sur le plan culturel et ayant réintroduit le sujet de la ville dans le débat politique.

Son agence, dans laquelle il est associé à Sophie Denissof depuis 1988, réalise des projets qui rencontrent une reconnaissance comme La Cité internationale de la bande dessinée d'Angoulême (en 1989, mention à l’Equerre d’argent).

Toutefois l’activité de l’agence s’oriente plus particulièrement sur des projets de remodelage urbain, à partir en particulier de la réhabilitation de la barre République dans le quartier du quai de Rohan, à Lorient (réceptionné en 1996). Il réalise alors une dizaine de réhabilitations de grands ensembles aux structures rigides desquels il s’attache à rendre du « plaisir » et de la « surprise ». La rénovation de la Caravelle, grand ensemble conçu par Jean Dubuisson à Villeneuve-la-Garenne en est un exemple remarquable. Il les transforme sans démolir, s’opposant à la philosophie de la rénovation urbaine par la démolition-reconstruction.

La psychanalyse jouait un rôle important dans sa vie et dans sa vision, et il a été lui-même analysé par Jacques Lacan – ce « déconstructeur extraordinaire » selon Castro -, dans les années 70.

Roland Castro défendait une poétique et une vision émancipatrice de la ville, avec sa part d’utopie. Il revendiquait pour son architecture le respect de la dimension « sédimentaire » et du « bricolage », la recherche du « charme » et la volonté de montrer « le ciel » et d’ouvrir les perspectives. La frontière entre l’architecte et le citoyen engagé n’a jamais cessé d’être brouillée par son énergie boulimique à transformer la ville et la société.

Le Grand Paris – qu’il considérait comme « une manière d’en finir avec la banlieue » - est resté comme le dernier engagement citoyen de cet infatigable militant. En 2018, il a été mandaté par le président Emmanuel Macron pour rédiger un rapport sur le Grand Paris, dont il publie une version livre en 2019 : « Du Grand Paris à Paris en grand ».

Depuis le début des années 80, il avait réussi à se créer des entrées dans les cercles du pouvoir. Il avait tenté de se présenter lui-même à l’élection présidentielle de 2007 sous l’étendard de son propre parti, le « Mouvement pour l’Utopie Concrète ».

Il a publié plusieurs ouvrages, comme Civilisation urbaine et barbarie (Plon, 1992), Le Corbusier n’a pas rencontré Freud (Canoë, 2018), ainsi qu’un livre autobiographique La Fabrique du rêve (L’Archipel, en 2010).

Christine Leconte, présidente du Conseil national de l’Ordre, a salué la mémoire d’un « architecte urbaniste dont l’engagement citoyen au service des politiques de la ville et de la banlieue a toujours été très fort tant dans ses actes que dans ses discours ».

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Commentaires

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Je suis triste, il était mon maitre de diplome. Sa cause de la rénovation des grands ensemble était si belle ! Voic l'épilogue de son livre "Civilisation urbaine ou barbarie" 

…Je rêve d’une ville qui combinerait la dignité, le charme, la rigueur et la générosité des cités jardin de Vienne…

Je rêve d’une ville dans laquelle le ciel serait tourmenté par les clochers de Prague 

Je rêve d’une ville qui combinerait la lumière et l’intériorité des lieux comme à Gardaia.

Je rêve d’une ville taillée, ponctuée et réglée comme à Paris

Je rêve d’une ville où les architectes se seraient affrontés de bâtiment à bâtiments comme à Rome.

Cette ville la dirait que n’importe quel quartier en vaut un autre 

Cette ville la dirait l’art de se cacher de se lover de se poser de s’asseoir 

Cette ville la dirait la folie des hommes dans leur dispute avec Dieu

Cette ville la dirait que la guerre des hommes peut se sublimer dans l’art.

Cette ville là dirait que la raison peut triompher 

Allons réussir à bâtir ce qui nous abriterait, ce qui nous représenterai ce qui chanterait enfin nos chemins vers la liberté !

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