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Faire davantage de concours

Par Eric WIRTH, Vice-Président du Conseil national de l'Ordre des architectes - Le concours est le meilleur moyen de choisir un architecte, son projet, et donc de garantir la qualité architecturale, paysagère, environnementale et urbanistique d’un site ou d’un bâtiment.
Mis à jour le
7 octobre 2020
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Les architectes français sont gâtés : ils ont une loi sur l’architecture qui a décrété, il y a plus de 40 ans, que la création architecturale était d’intérêt public.

Ils disposent d’une loi sur la maîtrise d’ouvrage publique, dite loi Mop qui a consacré le rôle distinct de chaque intervenant, Maître d’ouvrage, Maître d’œuvre et entreprise, et donc l’indépendance de l’architecte.

Le concours d’architecture découle de ces lois. Le concours est le meilleur moyen de choisir un architecte, son projet, et donc de garantir la qualité architecturale, paysagère, environnementale et urbanistique d’un site ou d’un bâtiment. Il favorise l’innovation, notamment dans le logement, et la qualité environnementale. Sous réserve bien sûr que la question ait bien été posée (c’est le sujet de la qualité du programme) et sous réserve d’un jury compétent, où la présence des concepteurs devrait être majoritaire.

Mais pourquoi cet engouement en France pour les concours, que les architectes français défendent corps et âme, et notamment au moment de modifications législatives comme en 2018 avec la Loi Elan?

Un concours, ça coûte cher, c’est fatigant et surtout très risqué. Qui ne préfèrerait pas une commande directe ? La réponse est que les architectes français sont convaincus que le concours produit les meilleurs projets, au service de l’intérêt général. Car cet intérêt général, énoncé dans la loi sur l’architecture de 1977, est leur moteur, leur ADN. Seul compte le projet et sa pertinence.

Le concours est le lieu du débat démocratique autour de la fabrication d’un projet, entre décideurs, concepteurs, administrations et usagers. Le concours est l’occasion pour les architectes de se surpasser, d’innover, mais aussi de se faire connaître.

Combien de jeunes agences ont émergées grâce aux concours ? Nos Grand Prix d’Architecture, nos stars françaises sont tous des enfants des concours : Dominique Perrault, Jean Nouvel, Rudy Ricciotti, Marc Barani, etc. Ils font maintenant rayonner l’architecture française dans notre pays, mais également dans le monde entier.

Grâce aux concours, nous avons, en France, une architecture publique contemporaine de grande qualité, dans tous les territoires, dans les villes comme dans les plus petits villages. Et on sait tous que la qualité architecturale de la commande publique tire celle de la commande privée.

En France, au-delà d’un certain seuil d’honoraires, le concours est obligatoire. Il est  restreint, et à deux tours : le jury sélectionne d’abord quelques architectes (3 en général) parmi les candidatures présentées, et choisit ensuite un lauréat parmi les projets proposés. Cette deuxième phase de production d’un projet est indemnisée (80% de sa valeur estimée), ce que nous envient beaucoup de confrères étrangers, qui n’hésitent pas – et ils sont nombreux -  à tenter leur chance en France.

Nous tenons tout particulièrement à ce modèle français du concours restreint à deux tours et indemnisé, par rapport au concours ouvert pratiqué ailleurs. En effet, qu’est-ce qui fait la spécificité d’un architecte ? Ce sont ses idées, bien sûr. On vient le chercher parce qu’il sait construire, mais surtout pour son imagination. Ses idées, c’est donc ce qu’il a de plus précieux, c’est ce qui vaut le plus cher. Dans un concours ouvert, on donne ses idées, gratuitement. Or si nos idées sont gratuites, c’est qu’elles ne valent rien, c’est que nous ne valons rien.Un concours doit donc être in-de-mni-sé.

Quel est le coût d’un concours ouvert  pour la profession? Pour celui du Guggenheim d’Helsinki par exemple, il y a eu 1715 projets, ce qui représente un coût collectif pour les architectes de plus de 20 millions € !

On argumente souvent en disant que les concours ouverts laissent leurs chances aux jeunes agences. C’est vrai que dans le passé, il y a eu des exemples remarquables, et notamment avec le duo Piano-Rogers pour le Centre Beaubourg. Mais cela reste une exception. Les jeunes agences font un concours, voire deux, mais après, elles s’épuisent et prennent trop de risques, faute de moyens. Ce sont au final les grosses structures qui sont encore avantagées : avec leurs effectifs et leur puissance financière, elles peuvent se permettre d’en faire beaucoup, mais surtout d’en perdre.

Les concours ouverts, idéalement à 2 tours, doivent rester l’exception, et réservés à des projets emblématiques.

En France, le concours est obligatoire. Alors,comment imaginer un concours ouvert pour chaque école, chaque salle de sport ? Il faudrait plusieurs jours au jury pour analyser des dizaines, voire des centaines de projets. Les collectivités n’en auraient pas les moyens, et cela signifierait probablement la mort des concours en France.

Cela ne veut pas dire qu’en France, tout est rose, loin de là :

  • la commande publique se raréfie inexorablement
  • certaines lois, comme la loi Elan, s’attaquent directement au concours. Ainsi, la construction des logements sociaux se fait maintenant hors du cadre du concours
  • les marchés globaux de performance ou de conception-réalisation se généralisent. Dans ces groupements concepteur-entreprise, l’architecte n’est plus le décideur et il perd son indépendance. De plus, seules certaines agences bien introduites sont appelées par un petit cercle d’entreprises, fermant la commande à toutes les autres.
  • de nouveaux types de consultations type Réinventer Paris ont émergé.

Dans ces procédures, où on met en compétition des groupements concepteurs-investisseurs, les places sont rares et l’architecte porte une grosse part du risque.

En bref, il y a beaucoup moins, et de moins en moins, de concours en France. La concurrence est donc très rude entre les architectes, il y a énormément de candidatures même pour des projets modestes. Il devient donc très difficile, voire impossible, pour de jeunes agences d’être retenues pour concourir, et donc pour avoir une chance d’accéder à la commande. Les Maîtres d’ouvrage ont le choix, ils ne veulent pas prendre de risques et préfèrent se tourner vers des agences confirmées.

Nous sommes en train de sacrifier une génération d’architectes.

Il faut donc beaucoup plus de concours, dans le secteur public comme privé, ce que dit la loi sur l’architecture « Les maîtres d'ouvrage publics et privés favorisent, pour la passation des marchés de maîtrise d'œuvre ayant pour objet la réalisation d'un ouvrage de bâtiment, l'organisation de concours d'architecture, procédure de mise en concurrence qui participe à la création, à la qualité et à l'innovation architecturales et à l'insertion harmonieuse des constructions dans leur milieu environnant. » Il faut donc faire oeuvre de pédagogie pour qu’il y en ait beaucoup plus, que nous fassions comprendre tout l’intérêt pour la société de mettre en place cette démarche qualité de la production architecturale.

Le CAE, l’UIA et l’Unesco affirment d’ailleurs d’une seule voix que le concours d’architecture, quelle que soit sa forme, ouvert, restreint, à un ou deux tours, indemnisé ou non, est le meilleur moyen pour choisir un architecte et son projet, et donc de produire un cadre de vie de qualité, facilement appropriable par la population et les usagers.


Eric Wirth, Vice-Président du Conseil national de l'Ordre des architectes


 

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