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La Loi sur l’architecture : et après ?

Par Eric WIRTH, vice-président du Conseil national de l'Ordre des architectes - Il n’y a pas de grande loi sans grande idée, c’est à dire une ambition fondatrice de la loi capable d’emporter l’adhésion des parlementaires - c’est eux qui votent la loi -, et de l’ensemble de la société. En France, c’est ce qu’on appelle « l’esprit de la loi », qui est déterminant pour sa bonne application, et donc pour aboutir aux objectifs visés.
Mis à jour le
28 avril 2024
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Assemblée nationale

Il n’y a pas de grande loi sans grande idée, c’est à dire une ambition fondatrice de la loi capable d’emporter l’adhésion des parlementaires - c’est eux qui votent la loi -, et de l’ensemble de la société. En France, c’est ce qu’on appelle « l’esprit de la loi », qui est déterminant pour sa bonne application, et donc pour aboutir aux objectifs visés.

Mais il y a la loi, le texte, et l’interprétation qui en est faite. Et c’est cette interprétation, et notamment par les juges qui crée la jurisprudence. Mais cette jurisprudence s’appuiera toujours et avant tout sur « l’esprit de la loi », pour interpréter ou ré-interpréter le texte.

En ce qui concerne notre Loi sur l’architecture, celle de 1977, ce sujet de l’idée fondatrice de la loi est important. Mais faisons un petit retour en arrière: nous sommes en France, à la fin des années 60. Les stigmates de la guerre sont presque effacés, on est dans les « 30 glorieuses », et la grave crise du logement d’après-guerre a été quasiment résorbée par la massification, l’industrialisation et la standardisation du logement.

Cette course à la quantité est devenue une course à la rentabilité où l’architecture a perdu son rang, pour ne pas dire son honneur. De cette période, nous payons en France aujourd’hui encore, le coût humain, social, culturel, paysager et environnemental. Et c’est donc à la fin des années 60 que la France et ses dirigeants se sont réveillés, et ont fait le constat des dégâts qui ont été causés au paysage, à la ville et au vivre-ensemble.

La loi sur l’architecture est née de ce constat, en essayant de rétablir les conditions permettant une architecture de qualité. Ainsi, plusieurs propositions de loi sont faites au gouvernement au début des années 70, pour remettre l’architecte au coeur de la fabrication de la ville et du cadre de vie. Elles seront rejetées, car considérées trop favorables à une corporation, celle des architectes, et non pas à l’architecture.

Ces propositions seront néanmoins reprises en 1976 dans la future loi, mais avec une idée force nouvelle, celle que j’évoquais tout à l’heure, de «la reconnaissance de l’intérêt public de la qualité architecturale», qui donne toute sa force et toute son ambition à la loi. Ainsi, à l’article 1, il est exprimé en préambule : « L’architecture est une expression de la culture », pour affirmer ensuite que « la création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public ».

Le fameux « Esprit de la loi » était là: l’intérêt public de la qualité architecturale. Si tous les parlementaires s’entendaient sur le fait que la qualité architecturale ne pouvait pas se décréter, ils étaient néanmoins d’accord pour dire que l’intervention d’un architecte, spécialiste de la conception, indépendant, bien formé, bien assuré et de bonne moralité, était une très sérieuse présomption pour tendre vers cette qualité.  

Tout le texte de la loi, tous les articles, renvoient à cet intérêt public, et c’est ce qui en fait sa force. C’est cet intérêt public qui justifie le recours obligatoire à l’architecte, et qui lui confère donc un monopole, même si celui-ci est limité à la conception. C’est l’intérêt public qui dicte l’organisation de la profession d’architecte, dorénavant réglementée, et dont les membres ont certes des droits, mais surtout des devoirs, vis-à-vis de leurs clients, mais surtout vis-à-vis de la société qui attend des architectes un cadre de vie harmonieux et un patrimoine respecté.

La loi organise ainsi le fonctionnement de la profession, avec les Conseils de l’Ordre, les chambres de discipline, le tableau, le Code de déontologie appelé aujourd’hui Code des devoirs. L’Ordre des Architectes est dorénavant investi d’une délégation de service public, sous la tutelle du Ministère de la Culture. La loi crée également les CAUE (Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement) pour participer à la diffusion de la culture architecturale, et conseiller, gratuitement, particuliers et collectivités.

Il est intéressant de se replonger dans les débats parlementaires de décembre 1976 pour les mettre en résonance avec la mise en oeuvre de la loi, ses manques et peut-être les conséquences de ces manques, et que les débats de l’époque avaient déjà mis en évidence.

Constat avait été fait par exemple en 1976 que plus de 50% de ce qui était construit l’était sans l’intervention d’un architecte, d’où l’absence de qualité, et d’où l’intérêt de rendre obligatoire le recours à l’architecte.

Que constate t’on aujourd’hui, 40 ans plus tard ? Que rien n’a changé. L’architecte perd chaque jour en France une partie de la maîtrise du projet architectural, plus de la moitié des travaux sont réalisés sans architecte, et la qualité n’est pas toujours au rendez-vous, et notamment dans les zones péri-urbaines et les entrées de villes: zones pavillonnaires médiocre et dévoreuses de terres naturelles, zones commerciales ou d’activité sans intérêt, … Bref, la « France moche » comme le titrait un grand journal national.

Ce constat amère doit être fait, mais il faut essayer d'en comprendre les causes.

Elles sont d’abord culturelles :

  1. La première, c’est peut-être celle de la loi: le Français est gaulois, un peu rebelle, n’aime pas la contrainte et ce qui est obligatoire: il cherche donc toujours à contourner la règle. En rendant obligatoire le recours à l’architecte, on a crée une règle qui occulte l’intérêt de faire appel à ce professionnel: On fait appel à un architecte parce qu’il est obligatoire, et non par besoin ni envie.
     
  2. Ensuite, la culture architecturale en France est très faible. Ce que les parlementaires de l’époque avaient déjà relevé : ils reprochaient à la loi, de ne pas prévoir un grand volet de formation à l’architecture à l’école, au collège ou au lycée. Le sujet est toujours d’actualité.

Il y a aussi des causes inscrites dans la loi :

  1. Ainsi, le recours n’est obligatoire que pour la conception du projet architectural, et beaucoup de maîtres d’ouvrage, et notamment les promoteurs, et les particuliers ne confient pas la mission de chantier aux architectes.
     
  2. Ensuite, des dérogations ont été introduites dans la loi, et par voie de conséquence, à « l’intérêt public ». C’est notamment le cas des seuils de recours à l’architecte: sont ainsi exemptés de ce recours, les particuliers qui construisent pour eux-même moins de 150m2, où les agriculteurs pour des bâtiments de moins de 800m2. Ces dérogations expliquent que la France soit défigurée par ces zones pavillonnaires exogènes de nos villages, et que nos campagnes soient enlaidies par des bâtiments agricoles standardisés, sans architecture ni aucun souci d’intégration. Alors même que l’économie française du tourisme se fonde sur la qualité du paysage de nos villages et de nos campagnes.

Malgré le monopole des architectes, seules 5% des maisons construites sont conçues par des architectes !

D’ailleurs, même si 100% des maisons étaient réalisées par ces derniers, cela ne réglerait pas tout. Et les parlementaires de 1976 l’avaient très bien compris en affirmant que l’architecture ne peut pas être déconnectée de l’urbanisme. Quelle que soit sa qualité architecturale, c’est le rapport de chaque bâtiment avec son environnement, notamment bâti, qui créé l’harmonie. Et c’est d’ailleurs sur ce fondement que les architectes n’ont jamais été blâmés pour les erreurs de la reconstruction des années 50-60, liées d’avantage à la planification urbanistique de l’Etat français.

Ainsi, le grand absent de la loi de 1977, c’est l’urbanisme. Absence réparée 40 ans plus tard avec la loi LCAP de 2016 (Liberté de création, Architecture et Patrimoine), qui étend le monopole des architectes au Permis d’aménager.

Mais c’est trop tard. Beaucoup trop  tard.

Il est même d’une certaine façon à contre-sens de l’histoire, en ce sens qu’il installe une forme d’urbanisation que l’on ne peut plus se permettre, celle de l’étalement urbain, de l’artificialisation des terres naturelles. Même dans le cadre d’une conception très qualitative.

C’est fini.

Un nouveau modèle de développement urbain doit être trouvé et mis en œuvre.

L’heure est aujourd’hui à la réparation. Réparer nos erreurs, en intervenant massivement sur l’existant, qu’il s’agisse de centres urbains ou ruraux, de zones commerciales ou industrielles, ou de lotissements.

Construire la ville sur la ville n’est plus un concept, c’est devenu, aujourd’hui, une nécessité vitale.

Et c’est dans ce cadre que l’intervention de l’architecte prend tout son sens.

L’intérêt de l’obligation de recours à l’architecte dans le cadre du Permis d’aménager n’est pas, pour les architectes, de dessiner des lotissements, mais bien de mettre un pied dans chaque mairie, pour aider les élus à faire un diagnostic de leur territoire et de leur commune, d’identifier les bâtiments à réhabiliter, les dents creuses à investir, les zones à densifier afin de leur permettre d’accueillir de nouveaux habitants, dans le cadre d’une urbanisation raisonnée, écologique et vertueuse.

L’autre grand absent était celui de la commande publique, qui se devait, qui se doit, d’être exemplaire. Là aussi, l’absence a été réparée près de 10 ans plus tard avec la loi MOP de 1985, qui régit les rapports entre les Maîtres d’ouvrage publics et les Maîtres d’oeuvre privés. Elle définit l’indépendance de l’architecte vis-à-vis des entreprises, elle donne des obligations au Maître d’Ouvrage (définir un programme, estimer une enveloppe budgétaire) et au Maître d’Oeuvre (s’engager sur le prix de l’ouvrage). Elle prévoit surtout la mission de base pour l’équipe de maîtrise d’oeuvre, de l’esquisse à la livraison du bâtiment public, alors que la loi de 1977 la limite à la conception, c’est à dire au Permis de construire.

Cette loi, fondée sur la même idée « de l’intérêt public » face aux intérêts marchands et du profit, est parfaitement complémentaire de la loi de 1977. Elle donne à la construction publique française toutes ses lettres de noblesse, et est enviée partout en Europe. Malheureusement, elle est très attaquée, tout comme le champ d’intervention des architectes, pour les mêmes motifs qui ont présidé à la construction des barres et tours des années 50-60: « construire plus et moins cher ». Avec un objectif de quantité et de rentabilité, et non de qualité.

Depuis 1977, et sauf en ce qui concerne la loi Lcap, toutes les dispositions législatives ou réglementaires n’ont eu de cesse d’écorner la loi sur l’architecture, et la loi Mop. Parce que nos dirigeants ont perdu « l’esprit de la loi »: l’intérêt public, en privilégiant les logiques financières, et la recherche du profit qui conditionnent nos sociétés consuméristes.

L’intérêt public de la qualité architecturale est l’étendard derrière lequel tous les architectes du monde doivent se retrouver.

Servir cet intérêt public doit être leur ADN.


Par Eric Wirth, vice-président du Conseil national de l'Ordre des architectes

 

 

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