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La ville, le maire et l’architecte

Par Eric WIRTH, vice-président du Conseil national de l’Ordre des architectes - Si l’intérêt public de l’architecture est porté conjointement par les architectes et les collectivités – c’est l’esprit de la Loi sur l'architecture de 1977 – les rôles ne doivent pas être confondus : il n’appartient pas aux seuls architectes de garantir la qualité architecturale dans un pays où 70% des travaux de bâtiments leur échappent, tout comme une collectivité ne peut imposer sa définition du « beau ».
Mis à jour le
28 avril 2024
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Extension - réhabilitation d'une MJC

(Texte extrait de l’ouvrage « la ville, le maire et l’architecte », Collection Agora, La ville action)

« L’architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public. Les autorités habilitées à délivrer le permis de construire ainsi que les autorisations de lotir s’assurent, au cours de l’instruction des demandes, du respect de cet intérêt. » L’article 1 de la loi 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture rappelé ici pose bien un principe fondateur bicéphale, celui bien connu du recours obligatoire à l’architecte, garant par compétence mais aussi par délégation de l’intérêt public de l’architecture, et celui, moins souvent cité, et malheureusement méconnu, de la responsabilité de la collectivité, ici de la mairie et donc de son maire, quant au respect de cet intérêt.

Si ainsi, l’intérêt public de l’architecture est porté conjointement par les architectes et les collectivités – c’est l’esprit du texte – les rôles ne doivent pas être confondus : il n’appartient pas aux seuls architectes de garantir la qualité architecturale dans un pays où 70% des travaux de bâtiments leur échappent, tout comme une collectivité ne peut imposer sa définition du « beau ».

A ce titre, la responsabilité historique qui pèse sur les élus signataires des permis de construire, c’est à dire les maires, est énorme. Ils peuvent rentrer dans l’histoire, pour le meilleur ou pour le pire. Un seul mandat, mal géré en matière d’architecture, défigure une ville ou un village pour des décennies.

Aussi, il est important qu’un maire ait une vision pour sa ville, qu’il soit animé par un projet, une ambition qui dépasse celle du temps politique et qui propulse sa collectivité vers l’avenir, dans le respect de l’existant, mais sans renier l’innovation. L’équation n’est pas aisée, a fortiori dans une métropole aux pouvoirs élargis comme celle de Bordeaux par exemple, qui affiche légitimement son ambition et ses objectifs de développement au niveau européen, avec une ville centre classée au patrimoine mondial de l’Humanité.

Pour cela il peut, il doit, s’appuyer sur la compétence des architectes, pour qui l’intérêt public prime sur l’intérêt privé.

L’intérêt public de l’architecture a été inscrit dans le marbre en 1977, tant mieux, mais pour l’architecte, cela va de soi parce que cela fait partie de son ADN, de son mode de fonctionnement, de son combat.

Et son combat s’appelle le projet.

Il y a quelque chose du sacerdoce chez l’architecte à mener, coûte que coûte et de bout en bout son projet : malgré les doutes, les sacrifices, en dépit de son intérêt propre, en temps ou en argent, avec ou contre ses partenaires, les entreprises et même son client, quels que soient les obstacles et les difficultés, l’architecte ira au bout, non pas de son œuvre, mais du projet.

Et lorsqu’il arrive au bout, c’est à dire à la livraison, le projet n’est plus projet, mais devient bâtiment, paysage, visible, appropriable, utilisable par tous, et donc public.

Malheureusement, cette dimension humaniste de l’architecte est étouffée par les carcans administratifs, techniques, réglementaires et quantitatifs produits quasi quotidiennement en France.

L’humain est de plus en plus absent. Les sens sont bannis de nos préoccupations, sauf la vue, bien sûr, dont l’effet le plus pervers est celui du culte de l’image du projet architectural, vecteur médiatique, commercial et publicitaire.

Ainsi, les sens ne sont plus des émotions du corps, du cœur et de l’esprit. Ils sont réduits à des « Facteur Lumière Jour », des « Bbio », des « Uw », des « dB(a) ». Les clients ne s’appellent plus maîtres d’ouvrage, mais acheteurs. Un logement est aujourd’hui un produit. Le quantifiable, le mesurable, le justifiable juridiquement ont pris le pas sur le sens.

A l’heure où ce sont les juges qui annulent des permis de construire parce qu’ils trouvent le projet « incongru », où de nouveaux textes de lois, décrets, règlements brident durablement la volonté de faire et grippent la machine économique et sociale, le maire et l’architecte doivent reconquérir leur place et leur rôle, afin d’être en mesure de remplir les engagements que l’article 1  de la loi du 3 janvier 1977 leur a confiés.

Ils sont responsables vis-à-vis des générations futures de l’héritage culturel et patrimonial collectif qui leur a été prêté, seulement prêté. En avoir conscience engage. Et cela nécessite beaucoup d’humilité, d’autant plus que le résultat de cet engagement n’est visible et palpable que bien au-delà du rythme électoral.

Mais en avoir conscience permet également de prendre la mesure des choses pour se poser les bonnes questions et guider notre action.

La maire a le pouvoir de faire, car il tire sa légitimité du mandat qui lui a été confié par ses concitoyens. L’architecte tire sa légitimité de sa totale indépendance. Il a le pouvoir que lui donne sa liberté. Celui de la création, au service de la société. L’architecte et le maire sont tous les deux animés par le même sens du bien public. Ils sont liés. Ils doivent être alliés.

Il faut qu’ils en soient à nouveau convaincus, pour convaincre la société, car la société a besoin d’eux, même si elle ne le sait pas, ou ne le sait plus, tant elle a oublié sa dimension humaniste, au profit du consumérisme, du médiatique, de l’instantanéité et de l’individualisme.

Vive l’architecture, et ceux qui la défendent.
 

Eric WIRTH, vice-président du Conseil national de l’Ordre des architectes


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