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Le logement : construire plus, mieux, moins cher

Par Eric WIRTH, vice-président du Conseil national de l'Ordre des architectes - La question du logement est transversale, elle embrasse et impacte toutes les thématiques sociétales de notre pays : celles bien sûr de la ville, des territoires, du cadre de vie, du vivre-ensemble, de la mobilité, de l’économie, de l’accès à l’emploi, à la formation, à la culture, … Elle doit être le terreau fertile d’une société harmonieuse et fraternelle.
Mis à jour le
28 avril 2024
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Objectifs

La question du logement est transversale, elle embrasse et impacte toutes les thématiques sociétales de notre pays : celles bien sûr de la ville, des territoires, du cadre de vie, du vivre-ensemble, de la mobilité, de l’économie, de l’accès à l’emploi, à la formation, à la culture, … Elle doit être le terreau fertile d’une société harmonieuse et fraternelle.

La question qui est posée dépasse le simple cadre du logement, elle est emblématiquement sociétale.

Nous sommes à la croisée des chemins sur le choix de société que nous voulons pour notre pays : celui de la globalisation, de la métropolisation, de la standardisation, de la concentration du marché et des intérêts privés, de la déréglementation, du profit, de la productivité et de la rentabilité, de l’immédiateté , ou celui de l’équité des territoires, de la proximité, de la prise en compte des spécificités locales et individuelles, de l’intérêt public au service de tous, notamment les plus démunis, de la qualité d’usage, de la pérennité et durabilité.

Dans cet intéressant débat, il nous semble que nous avons oublié l’essentiel : l’humain, avec son histoire, ses sentiments, ses émotions, sa culture, au profit d’un être anonyme défini par sa valeur statistique, ses moyens financiers. La nécessaire réflexion comptable nous a fait perdre de vue que ce qui est en jeu, c’est le cadre de vie de nos concitoyens à l’échelle intime, familiale mais également partagé, propre à assurer leur développement harmonieux et celui de la ville. C’est d’abord dans le logement que s’écrit l’histoire et se forge la personnalité de chacun de nous. Il requiert donc de notre part la plus intense attention.

Construire plus, moins cher et mieux

« Construire plus, moins cher et mieux », tout en privilégiant une vision humaniste, solidaire et citoyenne, de notre modèle français du logement social est l’objectif partagé par tous.

a. Construire plus

C’est le sujet sur lequel tout le monde s’accorde, tant le retard pris est grand et le besoin en logements criant, notamment pour les plus démunis, qui ne sont pas logés dans le parc social, mais dans le parc privé dégradé, indigne, voire insalubre. Cette contradiction inexcusable trouvera t’elle sa réponse dans le futur ? Le doute est permis, tant la pression financière pèse et pèsera encore plus sur les organismes HLM, et les obligera à privilégier la haute solvabilité au détriment de la solidarité.

Ces derniers ont obtenu un certain nombre de mesures pour justifier de construire plus.

Ainsi, le recours accru à la procédure de Conception-Réalisation a été acté au motif de construire plus, plus vite et moins cher, sans qu’aucune justification statistique et chiffrée n’est jamais été produite.

Il faut adopter les bonnes procédures pour les bonnes raisons, ce qui n’a pas été le cas. L’intérêt pour la conception-réalisation tient uniquement aux avantages liés à la simplification de la gestion des marchés de maîtrise d’œuvre et de travaux : un seul contrat avec la conception-réalisation, au lieu de plusieurs marchés dans le cadre de la loi Mop, avec également des risques en cas de défaillance d’une des entreprises.

Sur l’autel de la simplification de la gestion administrative d’un projet, on sacrifie l’intérêt d’une conception indépendante, l’accès à la commande pour les TPE-PME réduites à la sous-traitance sauvage, au bénéfice de quelques groupes nationaux, limitant forcément la concurrence. Et toujours sans atteindre l‘objectif de construire plus et moins cher : les promoteurs privés ne sont plus à convaincre puisqu’ils n’ont jamais recours à ce type de marché, ni même rarement à l’entreprise générale.

La loi Mop a permis à la France d’être reconnue mondialement pour la qualité de sa production architecturale, et notamment de logements sociaux. En distinguant les acteurs de l’acte de construire, le Maître d’Ouvrage, le Maître d’œuvre et l’entreprise, elle a posé le socle d’une commande publique vertueuse au service de l’intérêt général.

Oui, la loi Mop a ses contraintes, tout comme toutes les règles de la commande publique, parce qu’elles régissent notre bien commun, et qu’elles permettent démocratiquement son accès à tous, avec une égalité de traitement. La commande publique n’est pas celle du secteur marchand, tout comme celle du logement social. Elle doit être exemplaire et servir l’intérêt général, et non des intérêt marchands et une rentabilité financière.

Assouplir les règles de la commande publique ne permet en rien de construire plus, moins cher et mieux, tout en constituant le premier pas dangereux du glissement des acteurs du logement social vers le secteur privé libéral où l’intérêt public n’a pas sa place. Et encore moins les ménages les plus défavorisés et les plus fragiles qui en seraient définitivement écartés.

Si c’était le sens de l’histoire, l’évolution logique serait que la construction du logement social aille exclusivement au privé, les bailleurs sociaux perdant leur statut de maître d’ouvrage et de donneur d’ordre pour ne devenir que des gestionnaires du parc privé, où un logement s’appelle « un produit », quand ce n’est pas tout simplement un produit financier, loin de son objectif premier, celui de –bien– loger les gens.

Il est amusant de noter que, lors des débats au moment de la loi Elan, « construire plus » a été traduit par « construire plus vite », ce qu’on peut éventuellement entendre. Sauf que les architectes affirment qu’il faut surtout arrêter de construire plus vite, tant la sinistrabilité explose. Que signifie un gain de 1 ou 2 mois de chantier pour un bâtiment conçu pour 50 ans ?

De « construire plus », on passe à « construire plus vite », alors qu’en fait il faut « produire » plus vite du logement. Les gains ne peuvent pas se trouver pendant le chantier, mais avant.

Aujourd’hui, il faut 7 ans entre la décision de lancer un projet et sa livraison, pour seulement 5 ans il y a encore peu. Et le chantier ne dure qu’un an en général. Les leviers pour accélérer la production de logements sont donc ailleurs.

Un effort certain est à faire par les mairies et leurs services instructeurs qui multiplient les procédures « maison » : chartes, commissions d’avant-projet, … dont l’impact sur les délais est de l’ordre de 6 à 12 mois dans le meilleur des cas.

La raison du ralentissement du parcours d’un projet ne tient finalement qu’à une seule chose : la contestation du projet ou de certains éléments du projet, par les riverains bien sûr, par certaines associations, par l’architecte-conseil de la ville, par la commission d’avant-projet, par l’architecte des Bâtiments de France, par les élus, etc.

Et la contestation naît de la présentation d’un projet fini, non partagé, non choisi, en somme, imposé.

Les architectes, et les maîtres d’ouvrage qui le pratiquent, le savent, il existe un moyen d’aboutir à un projet consensuel, partagé, innovant et au service de l’intérêt général ; c’est le concours d’architecture.

Qu’on ne s’y trompe pas, les architectes sont des entrepreneurs, ils préfèrent avoir une commande directe plutôt que de s’épuiser sur un concours, mettre à mal leur trésorerie et leur plan de charge pour un résultat très aléatoire. Mais ils plaident pour le concours car celui-ci est au service de l’intérêt général, qui est l’ADN de leur titre d’architecte.

Le concours est la fierté de la commande publique, et notamment celle du secteur du logement social.

Le concours permet le choix du projet le plus abouti, le plus innovant, le plus contextuel, c’est à dire au final du meilleur logement, le plus confortable, au meilleur prix et au cadre de vie le plus adapté à l’usager et au lieu.

Mais également le plus partagé, le plus œcuménique grâce au jury. Le jury est le lieu du débat démocratique autour d’un projet et de la fabrication de la ville, car il réunit, le Maître d’ouvrage, les élus, les associations, les représentants des riverains, l’architecte-conseil, l’architecte des Bâtiment de France, qui débattent librement autour de plusieurs propositions pour délibérer souverainement et désigner le meilleur projet. Et c’est ce choix collégial qui assure au projet un parcours sans embuche jusqu’à l’obtention du Permis de construire, et même jusqu’au recours du droit des tiers purgé. Il est difficile de contester un projet choisi par un jury démocratique.

Dire que la procédure de concours fait perdre du temps est déjà irrespectueux par rapport à une démarche citoyenne, mais c’est au demeurant inexact au vu de ce qui précède. Son coût, qui ne représente que 0,3% du coût d’un logement, n’est pas un sujet, d’autant plus qu’il pourrait être prélevé sur le prix de vente du foncier, donc indolore pour le maître d’ouvrage.

Les architectes plaident donc sans détour pour la procédure de concours, pour l’ensemble des bailleurs sociaux, conformément à l’intérêt public et aux dispositions de la Loi Lcap, mais également pour toute opération financée de près ou de loin par de l’argent public, et même les projets privés avec un enjeu urbain ou d’intérêt général.

Le concours permet de construire plus vite, et ne surenchérit en aucune façon le coût du logement. Sa suppression a été motivée par les contingences de gestion administrative et de d’organisation. Ce frein devrait être levé avec la fusion et la concentration programmées des organismes HLM, et donc la mutualisation de leurs moyens. Le secteur du logement social « à la française » doit rester exemplaire.

b. Construire moins cher

C’est  un objectif salutaire, tant beaucoup trop de foyers ne peuvent acquérir un logement. Et construire moins cher permet de dégager des moyens de construire plus, voire mieux.

Si le logement est un produit, alors oui, c’est un produit de première nécessité. Se loger et se nourrir constituent les besoins primaires de chaque individu. Aussi, le taux de TVA sur le coût d’un logement devrait donc être uniformément réduit au minimum. Il représente aujourd’hui plus de 18% du coût total d’un logement, autant que les frais commerciaux et de portage ! Le coût de construction ne représente guère plus de 40% du coût total, contre 70% il y a vingt ans !

Aussi, quand on parle de construire moins cher, on s’attache exclusivement au coût de construction, voire aux honoraires de maîtrise d’oeuvre qui ne représentent pourtant que moins de 2% du coût global, alors même qu’ils induisent le niveau de qualité (architecturale, technique, environnementale et d’usage) et la pérennité des ouvrages.

Les architectes affirment que le coût de construction actuel est déjà trop bas, il n’est donc plus question de le baisser, au risque de reproduire les erreurs d’un passé récent et d’augmenter encore la sinistrabilité, mais au contraire, de le valoriser pour produire du logement de qualité, au service de la ville et de ses usagers.

Baisser le coût du logement doit impacter d’autres items : la fiscalité comme celle de la TVA et les frais de portage comme vu plus haut, mais également bien sûr, le foncier. A ce titre, l’Etat doit avoir une vraie volonté, un discours clair et une rigueur affichée.

La cession du foncier de l’Etat ou des collectivités doit être mis à disposition des bailleurs sociaux dans les conditions les plus favorables possibles, avec des exigences contractuelles suivies et contrôlées, pour ne pas retomber dans les dérives dénoncées le 23 janvier 2018 par la Cour des comptes : de nombreux terrains ont été cédés avec une décote significative par l’Etat contre l’engagement de construire 110 000 logements sociaux. Le bilan vérifié est de 6 700 logements … Dont certains à Paris ont bénéficié, toutes subventions confondues, de 386 000€ par logement, soit 5 560€/m2 (le triple du coût de construction).

Les architectes estiment que l’Etat doit être au service de ses populations les plus fragiles. La cession de son foncier doit donc se faire dans les meilleures conditions, à destination exclusive des bailleurs sociaux, la mixité étant assurée par ces mêmes bailleurs dans le cadre de Vefa inversée. Ainsi, les aides publiques bénéficieraient à l’intérêt général et non au profit du privé.

Si la volonté est de construire moins cher, le recours massif à la Vefa est un non-sens : comment un logement acheté à un promoteur privé peut-il être moins cher qu’un logement produit directement par le secteur social ? Cette procédure constitue une démission des bailleurs sociaux devant leur mission et leur rôle éminemment  sociétal, au profit d’une logique marchande, et au détriment de la qualité et de la pérennité du logement.

La Vefa a été introduite en 2009 pour faire éponger aux bailleurs sociaux le stock invendu des logements neufs du secteur privé suite à la crise de 2008. Une des conditions était qu’elle reste très minoritaire. Aujourd’hui, cette condition a été largement oubliée au bénéfice d’un recours irraisonné à la Vefa grâce à la manne publique.

Le logement social en France a toujours été à la pointe de l’innovation, tant dans la qualité d’usage des logements que dans l’attractivité architecturale et urbaine. Il a porté haut les couleurs de l’architecture française dans le monde, où il est envié. Tout le monde reconnaît aujourd’hui qu’un logement social est mieux conçu qu’un logement du parc privé. Acheter en Vefa c’est sortir de ce cercle vertueux d’une conception au service de son usager et de la ville.

Les architectes restent vigilant par rapport à la préfabrication, avec la possibilité d’offres variables, qui leur rappellent la grande époque des chemins de grue de nos Zup, dont on n’arrive toujours pas à panser les plaies et scories que nous avons générées.

Le choix de la préfabrication est un choix conceptuel de l’architecte, qui accompagne son client pour la dévolution de ce marché, qui peut être prévu en macro-lot pour tenir compte des interfaces de plusieurs corps d’état au stade de la préfabrication en atelier.

Le logement est éminemment contextuel. Son architecture tient compte du programme bien sûr, des usagers futurs, du climat, du relief, du contexte urbain et paysager, des ressources et des savoir-faires locaux, de l’histoire et de la culture d’un territoire. L’uniformisation, la standardisation, la globalisation n’y ont pas leur place.

L’architecture est le premier vecteur de l’identité culturelle d’un territoire et des individus qui le composent. Elle est souvent leur fierté où ils puisent leur sentiment d’appartenance à un groupe, un quartier, un village, une région. Sortir de ce champ vertueux, c’est s’engager sur le chemin de la fabrication d’une nouvelle identité, exogène, à  l’image d’une greffe qui ne prendrait pas, évoluant vers le repli sur soi, voire le communautarisme. La fabrication de la ville ne peut s’en satisfaire.

Les règles de la commande publique sont complexes ! Tout le monde s’accorde sur ce point, mais c’est oublier que ces règles ont un sens. Et c’est bien pour cela que tous les maîtres d’ouvrages publics, les mairies, les collectivités les appliquent avec scrupule car porteuses de l’intérêt général. S’en dispenser n’ aucun lien avec le fait de construire plus, moins cher et mieux.

c. Construire mieux

Si les dispositions prévues dans la loi Elan permettent éventuellement de construire, ou plutôt « produire » plus de logement et moins cher, les architectes s’en réjouissent bien évidemment. Par contre, ils n’ont malheureusement identifié aucune mesure qui permette de construire mieux, au contraire : comme vu précédemment, les procédures de conception-réalisation, de Vefa, de systématisation de la préfabrication prouvent quotidiennement le contraire.

Le permis d’innover est une disposition soutenue par la profession, sous réserve d’un nécessaire cadrage pour garantir les intérêts des usagers et l’assurabilité des projets.

D’autres mesures vont par contre dans le mauvais sens : la suppression de l’avis conforme de l’architecte des Bâtiments de France pour certains ouvrages. Les ABF tirent leur légitimé dans leur engagement sans faille dans la protection de notre patrimoine historique et contemporain commun, qui nous a été confié pour être restitué en l’état aux générations futures.

Ce patrimoine constitue le témoignage de notre histoire, de notre culture, et un levier de développement économique majeur grâce au tourisme, notamment dans nos territoires « interstitiels ». Il est notre fierté. Oter des prérogatives aux ABF dans notre société mondialisée, mercantile et globalisée est une erreur manifeste. On ne construira pas mieux sans leur avis conforme.

Les architectes ont bien compris qu’il y avait une urgence à construire plus de logements, mais cette logique quantitative doit obligatoirement s’accompagner d’une dimension qualitative : la fin ne justifie pas tous les moyens.

La production doit être accompagnée par l’intelligence de la réflexion en amont, et donc de la conception, tant des bâtiments que des documents d’urbanisme. Il faut tirer parti du savoir-faire et de la compétence des acteurs de la conception que sont les urbanistes, les paysagistes et les architectes. Les associer dans l’élaboration des documents d’urbanisme permet d’anticiper, d’enrichir et de faire vivre le projet urbain dans une cohérence programmatique, réglementaire et culturelle.

La conception partagée constitue le socle d’une démarche vertueuse et qualitative de la fabrication de la ville, par le privé et le public, au service de l’intérêt général.

C’est la mission des architectes, c’est leur combat.

 

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Eric Wirth, vice-président du Conseil national de l'Ordre des architectes

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