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L’Europe : logement abordable ou logement social ?

Par Michel BERTHET, Architecte, Syndicat de l'architecture - Il apparaît que la question du logement a été pendant longtemps considérée par l’institution européenne comme une question locale, régionale et nationale avant d’être vue comme relevant d’une compétence européenne ; néanmoins le traité d’Amsterdam laissait la possibilité d’étudier le domaine du logement abordable, ce qui a été fait.
Mis à jour le
28 avril 2024
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34 logements individuels groupés sociaux

(Texte initialement paru dans le Journal du Syndicat de l'Architecture N° 27 – juin 2019)

En janvier dernier s’est tenu au Parlement Européen à Strasbourg un colloque traitant du « logement abordable ».  Diverses personnalités et élus ont animé le débat, telles que Corina Crétu, vice-présidente du Parlement Européen, des députés européens, Icharn Iman rapporteur sur l'agenda européen pour le logement, le président de Housing Europe, le président de l'Union Sociale pour l'Habitat (France), des représentants des villes de Vienne, Strasbourg, Freibourg en Brisgau, Barcelone, Saint Denis …  

Il apparaît que la question du logement a été pendant longtemps considérée par l’institution européenne comme une question locale, régionale et nationale avant d’être vue comme relevant d’une compétence européenne ; néanmoins le traité d’Amsterdam laissait la possibilité d’étudier le domaine du logement abordable, ce qui a été fait.

Si les enquêtes menées ont pointé la diversité des situations, structures et politiques, elles ont rapidement conduit à une évidence générale : la période 2008/2018 a été marquée par un déclin massif des investissements dans le domaine du logement abordable, amenant l’Europe a une situation de précarisé ; ceci à partir de la crise financière de 2008 et tout au long des années qui ont suivi.  Il en est résulté une hausse marquée et continue tant des loyers que du coût des logements et maisons alors que les salaires augmentaient peu.

En effet, on relève que les investissements dans les « infrastructures sociales » ont décru de 20 % entre 2009 et 2018.  Il est estimé que le manque d’investissement s’est évalué à environ 57 milliards d’euros par an sur la période et qu’il faudrait un plan de 150 milliards d’euros sur 10 ans pour compenser ce sous-investissement.

En conséquence, environ 82 millions d’européens se trouvent aujourd’hui désolvabilisés à cause d’un coût du logement devenu trop important ; cette surcharge, exprimée en pourcentage du revenu brut, montre des taux d’effort allant de 25 à 40 voire 50 % alors que le taux d’effort normal en matière de logement locatif est considéré aux environs de 25 %. Ce phénomène touche aussi bien les classes moyennes que les classes populaires. Les jeunes et nouveaux arrivants dans les grandes agglomérations sont tout particulièrement concernés. Un rapport de la Banque mondiale considère que la question du logement est au cœur de fractures économiques de plus en plus grandes dans l’Union Européenne et constitue une cause notable de l’érosion de sa cohésion économique sociale et territoriale.

Les villes, agglomérations et Etats en recherche de solutions ? :

Les pays, à tous niveaux, ont semble-t-il (?) pris conscience de ce fait et sont en recherche d’instruments, financements et politiques stabilisées et à long terme permettant de remédier à cette situation, s’agissant aussi bien d’une production nouvelle que de la rénovation des immeubles existant et de leur amélioration en matière de dépenses d’énergie.

Parallèlement sont mises en place ici et là des mesures locales ou/et régionales permettant de peser sur les prix de marché, en particulier le marché foncier, ainsi que des mesures visant à éviter qu’une partie notable du secteur locatif privé des grandes agglomérations passe à la location touristique. Les différents villes et agglomérations participantes au colloque ont mis en évidence leurs actions respectives à ce sujet.

L’outil européen :

Le Housing Partnership, créé par l’institution européenne pour travailler sur la question du logement, regroupe autour des représentants de l’UE des villes, agglomérations, Etats, représentants qualifiés. Il devrait se charger dans le cadre des prochaines élections européennes de promouvoir la question du logement abordable en tant que thème majeur de campagne (… pour le moment, on n’entend pas grand-chose !). Il propose notamment que l’institution européenne s’engage à :

                - soutenir l’investissement dans les « infrastructures sociales » par la création d’une plateforme européenne d’investissement dédiée au logement abordable et de mobiliser la Banque Européenne d’investissement,

                - pondérer les investissements à long terme en infrastructures sociales dans le calcul du déficit budgétaire des Etats membres,

                - consolider le cadre juridique européen applicable au logement.

Europe protectrice ?  Europe libérale ? :

Il apparaît que l’Europe des années 2008 /2018 n’a pas été protectrice et on en voit le résultat dans le domaine du logement abordable.  A vouloir à tout prix s’adapter aux grands vents de la mondialisation, on a appauvri massivement les classes populaires et moyennes européennes, sans en mesurer et donc à en gérer les conséquences.

Par ailleurs, ce manque d’action montre au moins deux lacunes dans la compréhension de la situation ayant caractérisé cette période :

                - lorsque la conjoncture a été mauvaise, la France dans le passé a eu recours systématiquement aux acteurs du logements social afin qu’ils épurent le marché rachetant les fonciers à prix cassés pour en faire des logements sociaux ; de plus, cette action à contre cycle permettait aux entreprises du secteur de maintenir un minimum d’activité et donc de limiter les licenciements ; quelle a été l’action de l’Europe à ce sujet ? 

                - autant le logement très social peut être considéré comme un logement d’aide sociale, autant le logement à prix abordable devrait être le moyen par lequel on permet aux salariés d’un pays ou d’une entité plus grande d’habiter pas trop loin de leur lieu de travail à un prix supportable pour leur budget et donc d’être efficaces en tant que salariés. Il n’y a pas d’efficacité optimale de salariés lorsqu’ils vivent dans la crainte du surendettement et qu’ils ont chaque jour 2 à 3 heures de transport pour aller à leur travail et en revenir. Quelle sera l’action de l’Europe à ce sujet ?.......  

Il reste donc à mieux cerner cette notion de logement abordable qui bien que faisant partie du vocabulaire de l’institution européenne, relève encore assez largement du flou artistique, le danger en la matière étant d’orienter la production vers une catégorie de logements à « loyers intermédiaires » alors que le besoin est de loyers modérés eu égard aux revenus et non pas de loyers « légèrement en dessous du prix du marché ». 

Housing Europ, questionné sur le sujet nous répond : « Il n’y a pas de définition commune du logement abordable. C’est soit un terme générique qui recoupe différentes réalités de la capacité des usagers à se loger, soit, au Royaume-Uni, une forme de logement intermédiaire autour de 80% du prix du marché, mais souvent fournie par les bailleurs sociaux.

En revanche la notion de logement social est différente. Elle est également variée d’un pays à l’autre mais en gros il s’agit d’un logement dont le loyer est en dessous du prix de marché, qui s’adresse à des familles dont les besoins en matière de logement ne sont pas satisfaits par le marché, qui est soumis à des règles d’attribution déterminées par les autorités publiques. « 

Décidément, l’Europe a du mal à être sociale !  

Michel Berthet, Architecte,
Syndicat de l'architecture

 

## Mots-clés pour rechercher dans le Livre blanc :
Logement | Logements sociaux | Habiter | Réversibilité | Evolutivité |

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